Pourquoi Steve Jobs, Bill Gates ou encore Elon Musk nous ont menti ?
Les travaux d'Anthony Galluzzo sur le mythe de l'entrepreneur, présentés notamment dans son livre "Le mythe de l'entrepreneur : Défaire l'imaginaire de la Silicon Valley", ont pour objectif de déconstruire le portrait médiatique et idéologique de l'entrepreneur comme un héros visionnaire et autodidacte, un génie qui a réussi "parti de rien".
Galluzzo, professeur des universités en sciences de gestion, montre que le mythe de l'entrepreneur remplit plusieurs fonctions cruciales dans notre société :
1 - Il occulte la dimension collective et systémique de l'économie : Le mythe insiste sur la réussite individuelle, négligeant le rôle de l'écosystème, du contexte social, des infrastructures (financières, éducatives) et du travail collectif qui sont essentiels à toute réussite entrepreneuriale. Il refuse d'opposer l'entrepreneur et l'homme d'affaires, et souligne que trop souvent, une certaine haine du collectif est illustrée par la visibilité croissante des libertariens.
2 - Il légitime un ordre social méritocratique et conservateur : L'idée que le marché est un espace démocratique où seuls les talents et la détermination mènent à la réussite est un "conte moral". Le mythe suggère que chacun est responsable de ses succès et de ses échecs, justifiant ainsi les inégalités sociales comme le résultat du mérite individuel, et non de privilèges ou d'un système.
3 - Il est un outil de storytelling : Galluzzo analyse comment les récits médiatiques, les biographies et les films biographiques (sur des figures comme Steve Jobs, Elon Musk ou Bill Gates) participent à la construction de ce mythe. Ce storytelling est un outil stratégique qui fixe l'image du "héros entrepreneur" dans l'imaginaire collectif. Il souligne également la pratique du "tokenism", où des membres de groupes minoritaires sont symboliquement intégrés aux récits pour éviter les accusations de discrimination.
4 - Il s'inscrit dans l'histoire du capitalisme : Le mythe de l'entrepreneur n'est pas nouveau. Galluzzo retrace sa généalogie, en montrant comment il s'est forgé aux États-Unis en réponse à des figures comme les "barons voleurs" (Rockefeller, Carnegie) pour justifier l'accumulation du capital et donner un visage plus acceptable au capitalisme.
En résumé, Galluzzo ne remet pas en question l'existence d'entrepreneurs, mais critique la figure mythifiée et les conséquences politiques et sociales de cette mythologie. Il cherche à défaire cet imaginaire qui nous empêche de comprendre l'économie comme un phénomène fondamentalement systémique et collectif, et qui contribue à la légitimation d'un ordre social basé sur un méritocratisme illusoire.
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Edition La Découverte / AFP / Inc.